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/L'InterCompréhension/Des notions à la loupe/

  

Rapidité

La méthode de l’intercompréhension présente un avantage remarquable, celui de rapi­dité de l’apprentissage. Pour les méthodes actuellement pratiquées, l’acquisition des compétences se fait en une cinquantaine d’heures : ceci s’entend si la langue de l’apprenant fait partie du groupe linguistique qu’il étudie (on parlera de « langues apparentées », par exemple, un francophone ou un hispanophone vis-à-vis des langues romanes, ou encore un germanophone vis-à-vis des langues germaniques, ou enfin un allophone maîtrisant à un haut niveau de compétences une des langues de la famille qu’il étudie).

Pour l’extension à l’apprentissage par l’intercompréhension d’une famille de langues extérieure à celle de l’ap­prenant (« langues voisines »), il faut compter une centaine d’heures, soit le double du temps nécessaire à l’accès aux langues apparentées.

Dans tous les cas, le gain de temps est remar­quable par rapport au temps d’apprentissage classique d’une seule langue, que l’on estime généralement à 600 heures pour l’acquisition des diverses compétences (compréhension et production), dans le cas d’une langue proche de celle de l’apprenant, et à beaucoup plus dans le cas d’une langue éloignée de sa famille linguistique. Ces courtes durées horaires de formation constituent ainsi un avantage qualitatif important en faveur de l’intercompréhen­sion.

  

Rénovation de l’enseignement des langues

Il existe en général trois niveaux d’enseignement des langues : dans l’ordre chronologique, le système scolaire, la formation universitaire, enfin la formation professionnelle, appelée de nos jours formation tout au long de la vie. Pour chacun de ces niveaux de formation, une adapta­tion spécifique de la méthodologie de l’intercompréhension est nécessaire, et parallèlement une adaptation de chaque niveau d’enseignement. Voici rapidement quelques pistes pour chacun des trois niveaux.

Peut-être que le niveau de formation chronologiquement ultime, celui de la formation tout au long de la vie, est le moins difficile à pénétrer : d’une part parce qu’il est très souple, très éclaté en nombreuses offres de formation adaptées aux besoins des individus comme des so­cié­tés, d’autre part parce que, dans la réalité contemporaine, on perçoit immédiatement l’utilité, ou la nécessité, de proposer une approche accessible à plusieurs langues.

Prenons le cas d’une société multinationale, par exemple une marque automobile, dont les usines sont de nos jours délocalisées et réparties en de nombreux pays différents ; le personnel d’enca­dre­ment, chargé de faire le lien entre les divers centres de production, peut utiliser l’inter­com­pré­hension comme un moyen de raccourcir la nécessaire formation linguistique. C’est en partie ce qui s’est passé avec Renault-Nissan : après une première phase où la direc­tion du binôme a cru que l’anglais pourrait servir de langue commune, elle s’est vite aperçue que les efforts de production de message déployés par les personnes – ici françaises et japo­naises – stérilisaient en grande partie l’efficacité de cette communication : d’où, dans un se­cond temps, le retour au principe de réalité, et l’apprentissage de la compréhension du japo­nais par les Français, et du français par les Japonais, avec en parallèle la création d’un service d’interprètes et de traducteurs, et aussi, aspect ô combien essentiel, la mise en place d’instruments de médiation culturelle entre les groupes issus de pays différents ; ce dispositif existe, sous différentes formes adaptées, pour d’autres pays de production Renault-Nissan. Il paraît intellectuellement plus compliqué à décrire, mais dans les faits, il donne, par sa sou­plesse dans la mobilisation des compétences de chacun, des résultats beaucoup plus efficaces et concrets.

 Pour ce niveau de la formation tout au long de la vie, l’intercompréhension peut avoir sa place en faisant connaître les méthodes déjà existantes, et surtout, en proposant des dispositifs adaptés aux multiples publics de la formation professionnelle. Cela suppose évidemment de pouvoir s’appuyer sur un nombre suffisant de formateurs, capables de maîtriser la méthodolo­gie comme d’en proposer des formes spécifiques pour répondre aux demandes spécifiques des publics. Ainsi, par exemple, les coopérations transfrontalières peuvent-elles devenir beaucoup plus efficaces si les acteurs de ces projets sont préparés à communiquer par une initiation à l’intercompréhension.

En second lieu, examinons le niveau universitaire de formation. C’est aussi un niveau où l’inter­com­pré­hension pourrait vraisemblablement devenir assez aisément une com­posante des études. Je ne veux pas ici parler de la recherche conceptuelle et didactique, car elle est déjà présente, dans de nombreux centres universitaires et de nombreux pays. Je voudrais évoquer plutôt les pistes de dissémination de la méthodologie : on pense immé­dia­te­ment à la formation des étudiants Erasmus, comme un public particulière­ment réceptif ; il doit en effet apprendre rapidement à comprendre les cours qu’il va suivre dans une langue étran­gère, sans nécessairement consacrer à cette étude un nombre d’heures trop important ; et sur place, la production de la langue viendra de manière plus naturelle, dans l’environnement de l’université d’accueil.

On peut également citer les écoles spécialisées, par exemple les écoles d’ingénieurs (que nous ap­pelons en France les « grandes écoles »).

Dans le système scolaire, l’évolution du système actuel pourrait se faire en introduisant dans le cursus une initiation progressive à la diversité des langues : en commençant par un éveil aux langues, en poursuivant par une initiation à l’intercompréhension, puis par l’acquisition plus poussée de deux langues vivantes (avec compétences orales et écrites de compréhension et de production). Il faudrait aussi développer une intégration entre les cours de langue nationale (langue en général maternelle, mais parfois langue de l’enseignement) et les cours de langues étrangères : une dialectique entre ces deux enseignements se révélera très féconde, parce qu’elle donnera précisément à l’apprenant la dimension de ressemblance/dissemblance entre les formes d’expression que constituent les diverses langues.

L’évolution devra aussi se faire dans la structure des dispositifs d’apprentissage ; l’idéal serait de multiplier les laboratoires de langues, qui permettent de prendre en compte le rythme indi­viduel d’apprentissage, les compétences acquises par chacun selon son expérience propre, enfin les buts plus ou moins professionnels que chacun se fixe selon ses objectifs de vie (tourisme ou usage professionnel, par exemple, selon les cas).

Ces adaptations de l’enseignement des langues devront s’appuyer sur une évolution de la formation des formateurs : le but ultime étant ici de mieux intégrer l’enseignement des langues à l’ensemble des acquisitions de savoirs, d’en faire un instrument transversal d’ap­pren­tissage autant qu’un savoir autonome.

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Ces buts, présentés ainsi rapidement, peuvent paraître quelque peu utopiques. Néanmoins, il existe d’ores et déjà des lieux d’enseignement où ils pourraient rapidement et facilement être intégrés au cursus : par exemple, les classes bilingues (appelées en France « classes europé­ennes »), où des disciplines dites non linguistiques (DNL, par exemple l’histoire, ou la physique…) sont enseignées dans une autre langue que la langue de scolarisation habituelle ; ou encore les établissements étrangers (relevant d’un autre système scolaire et d’une autre langue d’enseignement que celle du territoire où ils sont implantés, les lycées français, ou allemands, à l’étranger par exemple), où par définition plusieurs langues d’usage et d’ensei­gne­ment cohabitent en harmonie.

Si la proportion d’élèves bénéficiant de ces dispo­si­tifs est encore faible relativement à l’ensemble de la population scolarisée, leur nombre absolu est loin d’être négligeable1, et l’on peut raisonnablement espérer que de proche en proche, ces dispo­sitifs… feront école à l’École. Certaines méthodes d’intercompréhension ont été conçues spéci­fiquement pour ce public scolaire, comme Itinéraires romans (initiation ludique propo­sée par l’Union latine, voir Álvarez, 2007) ou Euro-mania, comme le rappelle son fondateur Pierre Escudé (2007a, 2007b). De plus, l’exemple scandinave, séculaire, montre la voie d’un ensei­gnement global des langues dans un système éducatif par ailleurs très performant (Börestam, 2007). Et quoi qu’il en soit, il faudra bien un jour prochain réorganiser l’ensei­gne­ment des langues à l’école, l’adapter à la fois aux réalités du monde qui se bâtit sous nos yeux et aux engage­ments politiques en faveur de la diversité culturelle et linguistique.

 En ce qui concerne la redéfinition des objectifs de l’enseignement des langues , la didactique de l’intercompréhension offre un espace nouveau de réflexion et de pratiques. Elle est déjà fondée sur un important corpus de recherches conceptuelles et didactiques (cf Capucho, 2007), qui se poursuivent sur toute une série de sujets majeurs : la prise en compte d’une intercompréhension orale, en particulier (cf Jamet, 2005, 2007), ou encore l’adaptation d’une méthode fondée sur des langues apparentées à une méthode plus large, qui permet l’abord et la compréhension, même relative, de langues d’une autre famille que celle de l’apprenant (cf Castagne, 2002, 2007). Même si ces recherches doivent se poursuivre, à la fois sur le plan théorique et sur le plan didactique, elles peuvent d’ores et déjà fournir le socle d’une ingénierie éducative très nouvelle, et très innovante : le rôle de la DGLFLF,à cet égard, est de la faire connaître, la faire prendre en compte par les décideurs de politique éducative, qui y trouveront des instruments nouveaux, adaptés aux situations nouvelles de notre temps.

 


 

1 À titre d’exemple, en France, les « classes européennes » regroupent environ 181 000 élèves (statistiques 2005) ; les « sections bilingues francophones » que le ministère français des affaires étrangères promeut en Europe (dans les systèmes éducatifs non-francophones, avec des DNL en français) comptent environ 63 000 élèves.

 Álvarez, Dolores, 2007 : « Itinéraires romans : une approche jeune et ludique de l’intercompréhension fondée sur les TICE », in Filomena Capucho, Adriana Alves P. Martins, Christian Degache et Manuel Tost (dir.), Diálogos em Intercompreensão. Lisbonne : Universidade Catolica Editora, 293-306.

  Börestam, Ulla, 2007 : « Interscandinavian comprehension from different angles », in Éric Castagne, Les Enjeux de l’intercompréhension. Reims : Épure-éditions et presses universitaires de Reims, coll. ICE, 249-264.

  Castagne, Éric et Caduc, Évelyne (coord.), 2002 : Pour une modélisation de l’apprentissage simultané de plusieurs langues apparentées ou voisines, actes du colloque (soutenu par le programme SOCRATES) « Médiation culturelle et sociétés de l’Europe méditerranéenne ». Nice : Association des Publications de la faculté des lettres de Nice, CID diffusion.

  Castagne, Éric (coord.), 2007 : Les Enjeux de l’intercompréhension. Reims : Épure-éditions et presses universitaires de Reims, coll. ICE. Téléchargement de la version abrégée à l’adresse suivante : http://logatome.org/. Voir aussi, dans ce site, le programme Intercompréhension européenne (ICE) : http://logatome.eu/ice.htm.

  Capucho, Filomena, Alves P. Martins, Adriana, Degache, Christian et Tost, Manuel (dir.), 2007 : Diálogos em Intercompreensão, actes du colloque de Lisbonne, septembre 2007. Lisbonne : Universidade Católica Editora.

  Escudé, Pierre, 2007a : « Programme Euromania : un outil scolaire européen au ser­vice de l’intercompréhension », in Actes du colloque Diálogos em Intercompreensão (Lisbonne, septembre 2007). Lisbonne : Universidade Catolica Editora, 39-48.

   Escudé, Pierre, 2007b : « Euromania, méthode d’apprentissage disciplinaire en in­tercompréhension des langues romanes en fin d’école primaire », in Éric Castagne (coord.), (2005-2007), Les enjeux de l’intercompréhension – The stakes of intercomprehension, Collection ICE, Presses Universitaires de Reims-Épure éds. 

 

 Réticences

 Du fait de sa nouveauté, et de son angle d’approche des langues si différent des méthodes actuelles, l’intercompréhension dérange les habitudes installées, la conception même de l’organisation de l’enseignement des langues.

Ceux qui connaissent l’intercompré­hen­sion sont généralement convaincus qu’elle constitue un puissant levier de rénovation de l’ensei­gnement des langues ; cependant, son installation dans le dispositif sco­laire et universitaire pose toute une série de problèmes. Je n’en citerai ici que quelques-uns : par exemple, la représentation mentale des langues vivantes chez les prescripteurs (les pa­rents), qui voient trop souvent dans l’anglais une sorte de solution magique à tous les problè­mes de commu­nication entre allophones. Par exemple aussi, la structuration des enseigne­ments, autour de programmes généraux, de matières spécifiques enseignées par des spécialis­tes. Au total, et sans entrer dans le détail, on peut dire que l’intercompréhension est plutôt incompa­tible avec l’approche traditionnelle de l’enseignement des langues, et ce, malgré tou­tes ses qualités intrinsèques2.

 


 

2 À ce sujet, on se référera avec profit à l’article de Ploquin (1997), qui analyse les freins idéologiques et institutionnels à une prise en compte valorisante des langues vivantes, dans le système éducatif français en tout cas.

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Témoignage

Dans une école d’ingénieurs en télécommunications de la région parisienne un étudiant qui avait suivi une démons­tra­tion a écrit ce message à son professeur durant le stage qu’il a fait un peu plus tard en Inde :

Le concept de l’intercompréhension, les méthodes fournies étaient pour moi novatrices et m’ont im­pressionné : face à un texte dans une langue qui semble familière mais que je ne comprends pas, vous avez su nous guider peu à peu pour utiliser au bon moment et de la bonne manière à la fois nos propres connaissances et notre imagination. Cela nous a permis ainsi de comprendre un article de journal dans lequel je n’aurais auparavant pas voulu m’aventurer plus loin que le titre.

C’est cet étonnement et cette impression d’utilité qui m’ont poussé à en parler autour de moi, et no­tamment dans mon association, l’AIESEC. C’est une association étudiante qui est par essence basée sur les relations internationales et qui amène ses membres à échanger chaque jour avec d’autres AIESECers à travers le monde entier (l’association est présente dans plus de 100 pays). L’anglais est la langue offi­cielle, mais chacun d’entre nous est confronté à des membres, des documents ou des situations fai­sant intervenir d’autres langues, que nous ne maîtrisons pas forcément.

 Plus personnellement, je me rends compte actuellement de l’utilité de ces ateliers "sur le terrain". Je suis actuellement en stage en Inde, ayant pris part au programme d’échanges internationaux proposé par l’AIESEC. Je travaille pendant deux mois dans des écoles du Rajasthan, où au sein d’une équipe de douze AIESECers, nous délivrons des ateliers sur différents thèmes. L’un d’entre eux est la sensibilité aux différentes cultures. Comment développer chez des élèves de 13 ans l’envie d’en apprendre plus sur les différentes cultures du monde, et comment les respecter ? Cela passe essentiellement par la commu­nication. Et la langue est une des barrières les plus évidentes lorsque l’on se retrouve confronté à une nouvelle culture.

Avec mon équipe, nous essayons de montrer à ces élèves que c’est une barrière surmontable. Nous-mêmes venons de pays totalement différents : France, Royaume-Uni, Maroc, Pays-Bas, Suisse, États-Unis, Iran, Chine, Taïwan et Colombie. Et pourtant, nous réussissons chaque jour à nous comprendre et à travailler ensemble, et ce dans la langue qui nous semble la plus confortable, et ce n’est pas toujours l’anglais ! Nous parvenons à démontrer aux enfants qu’avec un minimum de principes simples, eux qui ne parlent qu’anglais et hindi, peuvent comprendre un texte en français, allemand ou hollandais. Ils en sont les premiers surpris et heureux !

Promouvoir l’intercompréhension est essentiel dans notre société globale d’aujourd’hui. Globalisa­tion n’est pas forcément synonyme d’uniformisation : c’est à nous de montrer qu’il existe des moyens de découvrir et de comprendre d’autres cultures. Il suffit d’avoir les outils, de savoir reconnaître les leviers qui permettront d’entrer dans la logique d’une nouvelle langue. Comprendre ce que notre in­terlocuteur dit ou écrit est en effet le premier pas nécessaire vers une véritable intercompréhen­sion culturelle.

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